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Entretien avec Gabrielle Richard

Où en sont les questions de transidentités à l’école ?

D’un point de vue sociologique, on s’est beaucoup attardé au fait que les expériences scolaires de plusieurs jeunes trans étaient particulièrement difficiles, du fait de la pression à la conformité qui peut régner au sein des groupes d’adolescent.e.s. C’est aussi ce qui nous est rapporté de la part des jeunes exprimant leur genre de façon dite atypique, ou encore questionnant leur identité de genre. Scientifiquement, on a donc accordé beaucoup d’attention aux violences que ces jeunes pouvaient vivre à l’école, mais peu aux autres dimensions de leur vécu scolaire. C’est navrant, parce qu’on sait que pour plusieurs élèves ciblés par des violences, l’école peut également s’avérer un vecteur de résilience, un lieu de socialisation positive. Les jeunes trans sont présentement vu.e.s comme un « problème à régler » par l’école. Elle gagnerait plutôt à voir leur présence comme une opportunité de plus de questionner les normes auxquelles elle donne cours et qu’elle reproduit en son sein. Il y a un énorme travail d’éducation à faire en ce sens.

 

Qu’est-ce que les mineurs trans apportent aux questions de genre à l’école ?

On sait qu’à l’école ou ailleurs, les manifestations de sexisme, d’homophobie et de transphobie fonctionnent main dans la main. Elles relèvent toutes de l’existence d’attentes plutôt rigides quant aux manières dont une fille ou un garçon doit ou ne doit pas se comporter, par exemple. Les jeunes trans viennent en quelque sorte jeter un pavé dans cette mare et rappeler que ces comportements genrés ne sont pas le fait d’une nature masculine ou féminine, mais qu’ils sont socialement construits. Il s’agit d’un apprentissage déstabilisant pour plusieurs, adultes compris. Les mineurs trans nous permettent de comprendre que ce qui pose problème à plusieurs, c’est le fait que certaines personnes puissent ne pas s’insérer dans ce qu’on perçoit être la normalité, qui s’incarne par l’identité cisgenre (l’adéquation chez une personne entre son sexe biologique et son identité de genre) et l’hétérosexualité.

 

Quelles formes de discriminations et de stigmatisations sont les plus rencontrées par les jeunes trans à l’école ?

Plus des trois quarts des élèves trans rapportent ne pas se sentir en sécurité à l’école. Cela s’explique de plusieurs façons. Ces jeunes sont nombreux à vivre des violences verbales et symboliques, comme se faire insulter, être mis à l’écart, ou se faire constamment appeler par leur ancien prénom (plutôt que leurs pronom et prénom choisis), même après avoir prévenu leurs interlocuteurs de leurs préférences. Plusieurs vivent des épisodes de violence physique (se faire bousculer, frapper, enfermer quelque part). L’école véhicule énormément de violence systémique, structurelle, à l’égard des mineurs trans, en évitant d’évoquer ces réalités et de considérer leur existence – ne serait-ce que dans leurs politiques institutionnelles. Finalement, les jeunes trans vivent des difficultés lors de la fréquentation des lieux qu’on appelle sexués, comme la toilette, les vestiaires, ou encore le gymnase (où on sépare souvent les élèves par sexe). Par conséquent, il n’est pas rare qu’un.e élève trans se retienne toute la journée d’aller à la toilette, choisisse de s’absenter de l’école ou d’un cours en particulier, évite certains lieux, etc. On l’imagine, cela a des impacts majeurs sur leur sentiment de sécurité, d’estime de soi, et d’appartenance à l’école.

 

Quelle.s partie.s du système éducatif pourrai.en.t être améliorée.s afin de mieux convenir à l’existence de personnes trans à l’école ?

Dans l’immédiat, il est impératif que le système éducatif fasse montre de flexibilité à l’égard de ses élèves trans. Les listes et les registres d’élèves doivent tenir compte des pronom et prénom d’usage de ces élèves. Ça permettrait d’éviter qu’elles et ils soient constamment rappelé.e.s à une identité qui n’est pas la leur, qui ne les interpelle pas et – au contraire – qui les stigmatise. A plus long terme, il y a une véritable réflexion à y avoir par rapport à la manière dont l’école est entièrement structurée sur la base du genre. Ça se voit notamment dans les pratiques des enseignant.e.s, qui continuent de séparer les élèves sur des bases genrées (groupes de travail ou équipes sportives), d’interagir différemment avec les filles et les garçons, voire de verbaliser des préjugés ou des présomptions genrées. Il ne peut y avoir de véritable « égalité filles-garçons » sans considérer ces dynamiques plus profondes, et sans former les enseignant.e.s et les personnels à être de véritables agents d’égalité.

 

Quelles formes de discriminations suivent les enfants trans chez eux (sur Internet) ?

Les espaces présentiel et cyber sont poreux, si bien qu’il n’existe pas véritablement de « coupure » entre la vie scolaire et ce qui se passe sur les réseaux sociaux, par exemple. Pour un jeune qui est victime de discrimination à l’école, cela signifie que la maison n’est plus le lieu de répit qu’elle a déjà pu être. Les violences cyber peuvent prendre différentes formes : création d’une page Facebook anti une personne donnée ; envoi d’insultes ou de menaces ; diffusion de photos suivie d’humiliation à grande échelle, etc. Bref, le potentiel explosif est majeur. On peut considérer que ces violences sont d’autant plus dommageables pour les jeunes trans ou qui questionnent leur identité de genre, et qui ont souvent recours à Internet pour obtenir des informations par ailleurs difficilement disponibles, ou pour échanger avec des pairs qui vivent des réalités semblables aux leurs.

Comment prévenir ce cyber-bullying ?

Il y a un certain nombre de paramètres de sécurité qui sont déjà connus de la plupart des gens et qui peuvent être mis en place : gestion de la confidentialité des comptes sur les réseaux sociaux, modification des mots de passe, limitation du nombre de photos diffusées, etc. Il ne s’agit pas de restreindre l’accès à Internet ou aux réseaux sociaux, mais de créer les conditions optimales pour leur usage. La simple mise en place de ces paramètres ne peut toutefois pas régler le problème du cyber-bullying. Il n’y aura pas de prévention durable qui fasse l’économie d’une éducation à l’égalité et de relations ouvertes de communication avec un.e ou des adultes de confiance.

 

Quelles politiques de santé devraient être mises en place à destination des mineurs trans ?

Les mineurs trans sont encore traités de manière largement pathologisante par le système de santé. Selon la World Professional Association for Transgender Health (une organisation internationale regroupant des professionnel.le.s expert.e.s de la question trans), les standards de soins actuels pour la santé des enfants et des adolescent.e.s trans ou questionnant leur identité de genre veulent pourtant que leur rôle soit de leur offrir les conditions optimales afin qu’elles et ils puissent explorer leur identité de genre. Cela peut passer par la prise de  bloqueurs, qui servent à inhiber le développement de la puberté, afin de permettre aux mineurs d’avoir le temps dont elles et ils ont besoin pour mener à bien leurs réflexions.

 

La loi actuelle protège-t-elle, selon vous, les mineurs trans ?

La réponse est simple : la loi française néglige les mineurs trans, principalement parce qu’elle fait fi de leur existence. Certaines mesures doivent être adoptées à brève échéance. L’accès au changement d’état civil doit notamment être facilité, afin de permettre aux jeunes trans qui le désirent d’y modifier leur mention de sexe sans avoir à attendre l’âge adulte. Cela présente des avantages considérables, notamment ceux d’avoir des papiers d’identité cohérents avec leur identité de genre et d’être scolarisés sous leur nom choisi. L’Éducation nationale doit également permettre les ajustements nécessaires afin qu’elles et ils puissent être scolarisés sous leur prénom d’usage. Les protocoles médicaux français doivent permettre le recours à des bloquants hormonaux afin de prévenir le développement chez les enfants trans ou questionnant leur identité de genre d’une puberté non désirée. Il s’agit de mesures simples qui auraient des impacts majeurs sur la vie quotidienne des jeunes trans.

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