Entretien avec Annie Pullen Sansfaçon, vice-présidente d'Enfants Transgenres Canada.
Qu’est-ce que l’organisme Enfants Transgenres Canada et comment a-t-il été créé?
Les racines d’Enfants Transgenres Canada remontent à 2010. Trois familles qui utilisaient les services du Dr Ghosh (NDLR : pédiatre spécialisé en identité de genre) à l’Hôpital de Montréal pour enfants ont été mises en contact. Dans deux des trois familles, il y avait un parent professeur d’université. Avec ma collègue Kimberley Manning de l’Université Concordia, et une autre collègue, on s’est intéressées à la littérature scientifique, parce qu’on essayait de comprendre ce qu’il se passait avec nos enfants. Il y avait vraiment peu de choses : les recherches sur les enfants trans sont très récentes. On a monté un projet de recherche afin de mieux comprendre les enjeux et les expériences familiales, éducatives et sociales des familles avec un enfant trans. Pour ne pas développer de la recherche oppressive, on a décidé de mettre sur pied un groupe de discussion entre parents basée sur les approches de recherche action-sociale. Les matériaux de recherche étaient en fait les discussions du groupe. En faisant participer les parents, on essayait de les faire réfléchir à pourquoi ils vivaient ces enjeux-là. Ils en sont vite venus à saisir qu’il existait des forces sociales plus grandes qu’eux et qui empoisonnaient la vie de leur enfant et de leur famille. À la fin de l’exercice, les familles ont décidé de poursuivre les rencontres de groupe. Enfants Transgenres Canada a été fondé officiellement en 2013. Nos groupes d’échanges sont ouverts et les gens viennent autant de fois qu’ils le veulent. On estime qu’environ 350 membres participent au réseautage sur notre site web et la page Facebook privée de l’organisme.
Que diriez-vous à des parents qui croient que leur enfant est transgenre ou questionne son identité de genre?
À Enfants Transgenres Canada, on leur dit d’abord bravo. C’est important de souligner que les parents prennent la bonne décision en soutenant et en écoutant leur enfant. Ensuite, on leur suggère de respecter le rythme de l’enfant. De lui offrir une diversité de jouets et de vêtements si on peut financièrement se le permettre, mais surtout de lui permettre d’explorer. Il n’y a que l’enfant qui sait comment il se sent à l’intérieur. En tant qu’adultes, que parents, c’est d’une grande violence de prétendre qu’on connaît mieux l’identité de nos enfants qu’eux-mêmes. Un enfant a intériorisé les attentes de la société, et ne va pas choisir de se mettre dans une position qui risque de lui porter préjudice si ça ne correspond pas à un véritable besoin chez lui. Le soutien des parents est primordial. Ce dont un enfant a besoin, c’est de parents qui l’aiment et qui agissent en tant que boucliers face à un environnement qui peut lui être hostile. Bref, ce qui importe dans un premier, c’est de porter attention au processus, pas nécessairement au résultat. C’est seulement ainsi qu’on peut voir après un certain temps si l’expression ou l’identité de genre de genre affirmée par l’enfant est persistante, insistante et consistante.
Quelle est la situation juridique au Québec pour les enfants transgenres?
En juin 2016, la ministre de la Justice a déposé le projet de loi 103 à l’Assemblée nationale, qui l’a adopté à l’unanimité. Il introduit l’identité de genre et l’expression de genre comme motifs interdits de discrimination dans la Charte québécoise des droits et libertés, au même titre que le handicap ou le sexe. Ça présente une grande valeur symbolique. Le projet de loi 103 permet aussi aux mineurs trans de changer la mention de sexe sur leurs papiers d’état civil, sans obligation de subir un traitement médical. Ce changement d’état civil est disponible pour les enfants de moins de 14 ans, avec le consentement de leurs parents. À partir de l’âge de 14 ans, un jeune peut entamer seul ces démarches. À l’automne dernier, une centaine de jeunes s’étaient prévalus de ces droits et fait leur demande de changement d’état civil.
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré pour faciliter l’existence des enfants transgenres et de leur famille?
Le milieu scolaire gagnerait à s’inspirer des lignes directrices relatives aux élèves transgenres qui ont été développées par la Commission scolaire de Montréal. (NDLR : Ces lignes directrices, au nombre de six, proposent de soutenir l’élève dans sa démarche individuelle, d’utiliser le prénom et le pronom choisis par ce dernier, de tenir des dossiers conformes aux pratiques juridiques et à la réalité du terrain, de permettre à l’élève de porter des vêtements qui cadrent avec l’expression de son identité de genre, de lui donner le choix d’utiliser les toilettes et les vestiaires conformément à son identité de genre, et de favoriser sa pleine participation aux cours d’éducation physique et aux activités parascolaires). Ces pratiques doivent être rendues systématiques et ne doivent pas être laissées au bon vouloir des personnels scolaires.
Il faut aussi continuer à sensibiliser la population au vécu des personnes trans. On voit toujours le même genre de jeune trans, un jeune qui correspond à certaines normes de genre, un jeune blanc, d’une classe sociale souvent plus aisée, etc. Je pense qu’il faut qu’on s’ouvre davantage à la diversité des expressions et des identités de genre dans l’espace public, et que ces représentations incluent différents types de modèles issus de communautés culturelles, par exemple.